La Fonderie, un quartier industriel sauvé de l’oubli
L'ancienne "cathédrale" et actuel Campus-Fonderie, inauguré en 2007.
―Marc Barral BaronAprès quelques années à la direction de DMC, André Koechlin fonde la société André Koechlin et Compagnie (AKC) afin de fournir les usines textiles en machines. Pour implanter son industrie, il choisit un secteur situé au sud-ouest de Mulhouse jouissant d’un accès au canal et à la future ligne ferroviaire Mulhouse-Thann : un terrain propice aux affaires florissantes ! Il fait dessiner les plans de son usine en Angleterre, où se trouve une concurrence textile innovante. En 1826, son entreprise comprend une fonderie, un atelier d’usinage et un bâtiment dédié à la machine à vapeur, placés en forme de U autour d’un bassin, à la mode anglaise. Il fournit les usines en machines textiles en France, comme à l’étranger : outillée pour produire des pièces de 5 000 kilos, AKC est alors l’une des plus puissantes usines d’Europe.
Mulhouse, la « Manchester » française
La solidité des machines de Koechlin, les rabais et possibilités de paiements différés font la réputa-tion de l’entreprise. Le savoir-faire des 550 ouvriers est honoré d’une médaille d’or à l’Exposition de Paris. En 1872, AKC s’allie aux ateliers de Graffenstaden pour devenir la SACM (Société Alsacienne de Constructions Mécaniques) et la production se diversifie : locomotives (dont la première locomotive, la « Napoléon »), moteurs Diesel, groupes électrogènes, piles atomiques... Les bâti-ments, d’abord construits en briques puis en pierre de Brunstatt, se multiplient et de nouvelles infras-tructures, alliant fer et brique, voient le jour.
Le bâtiment de la Fonderie, surnommée « D’Gieserei » par ses ouvriers, est construite en 1922, sur les plans de l’architecte Paul Marozeau, ayant également travaillé pour le compte de la Banque de France et du Métropolitain. Sa galerie centrale avec sa charpente en béton armé en forme d’arches, rappelant une nef gothique, lui vaut son surnom de « cathédrale ».
Déjeuners de saucisses, travail chronométré et salaires dépensés au bistrot




Illustration de la Fonderie à sa création, en 1826, par Pierre-Albert Becker-Harvey.
―Bibliothèque nationale et universitaire de StrasbourgD’un atelier à l’autre, les conditions de travail des ouvriers varient en termes de salaire, d’application du règlement et de rythme de production. André Koechlin apporte un soin particulier au bien-être de ses employés, recrutés pour partie parmi les licenciés de l’entreprise Riesler. Ils touchent un salaire supérieur à la moyenne, bénéficient parfois d’un logement ou d’un accès prioritaire à l’école pour leurs enfants : ils forment une « élite ouvrière ».
Pendant les « années SACM », la discipline varie de stricte (la pointeuse déduit un quart d’heure de salaire pour une minute de retard) à plutôt conviviale : les déjeuners de « deckwurst » (saucisse de viande), miche de pain et vin rouge sont partagés par les ouvriers et leurs supérieurs. Si le thé est fourni gratuitement par la société, le vin rouge a des arguments souvent plus significatifs pour les ouvriers... qui sont cherchés, à la sortie de l’usine par leurs femmes les jours de paie, pour les em-pêcher de tout dépenser dans les bistrots voisins.
Le sauvetage de la « cathédrale »
Dès sa fermeture en 1991, le site est menacé de démolition : les friches industrielles sont rarement valorisées. Les associations locales, anciens ouvriers de la SACM et habitants du quartier se mobili-sent. Ils sollicitent les journaux locaux qui font découvrir les particularités industrielles et architectu-rales du lieu au grand public.
Plusieurs projets sont envisagés : raser les bâtiments, construire une salle polyvalente, des lieux dédiés au sport et à la culture, un jardin du souvenir... Une enquête publique est menée auprès des Mulhousiens. La presse publie des articles contradictoires. Le magazine Le Moniteur résume bien la situation : « Que faire de la « cathédrale » ? Tout le monde veut la garder. Personne ne souhaite y mettre de l’argent ». Après de longues négociations, un projet mêlant logements, commerces et bu-reaux est annoncé. L’installation d’un campus de l’Université de Haute-Alsace met le quartier Fonderie sur orbite.
Logements, lieux de formation et d'innovation, restaurants... Le quartier de la Fonderie est en plein essor.
―Catherine KohlerInnovation et industrie au cœur de la Fonderie
Le cabinet d’architecture Mongiello et Plisson met en valeur la structure de la « cathédrale » par un ajout de verre, préservant les perspectives de la fameuse « nef ». Le travail de réhabilitation est applaudi par les anciens de la SACM…
Aujourd’hui, le Campus-Fonderie, inauguré en 2007, abrite la Faculté des Sciences Économiques Sociales et Juridiques (FSESJ) de l’Université de Haute-Alsace, ainsi qu’une bibliothèque universitaire. Aux étages, les Ateliers pédagogiques d'arts plastiques de la Ville forment les plus jeunes générations et La Kunsthalle ouvre ses portes aux amateurs d’art contemporain. Le quartier conserve les traces de son passé industriel : les bâtiments aux briques rouges tracent les limites du « quartier Fonderie » où l’activité industrielle est préservée par l’implantation de sociétés, du Village By CA, de KMØ et de la Maison de l’industrie...
Par Johanna Witz


