Enquête : quels sont les publics de La Filature ?

Scène nationale, Orchestre national de Mulhouse, Opéra national du Rhin – regroupant l’Opéra et le Centre chorégraphique national/Ballet - et Médiathèque. La mutualisation n’est pas un vain mot à La Filature, depuis son inauguration en 1993. Une singularité qui lui confère une place à part sur l’échiquier culturel hexagonal, mais qui est aussi parfois source de brouillage des pistes pour les publics. « Quatre labels nationaux sous un même toit, c’est inédit. C’est notre plus grande richesse, mais aussi notre plus grande complexité », souligne Benoît André, le directeur de La Filature, qui ne s’est pas économisé depuis son arrivée, en 2020, pour fédérer les énergies visant à donner davantage de visibilité à l’équipement Filature et à ses « co-locataires ».

Nouveau logo inspiré du passé industriel du lieu, nouvelle identité visuelle, site Internet commun https://www.lafilature.org/, affichage des programmations sur la façade du bâtiment, collaborations événementielles à l’image du rendez-vous « Le samedi, ça vous dit ? »… Voilà quelques exemples concrets de coopérations qui ont vu le jour ces dernières années, et qui pourraient faire imaginer, à terme, la création de formules d’abonnements partagées entre la Scène nationale, l’Orchestre national de Mulhouse et l’Opéra national du Rhin, bien pratiques pour le public. Dans l’optique d’aller plus loin dans la réflexion, une grande étude sur les publics de La Filature – et du théâtre de la Sinne - a été réalisée par une équipe de chercheurs du Centre d’études politiques et sociales (CEPEL), rompue à l’exercice et à qui l’on doit récemment une étude du public des Eurockénnes de Belfort.

2 525 réponses

« L’étude visait à comprendre "qui vient, pourquoi, comment et avec quels goûts ?". Il y avait un vrai risque à choisir des chercheurs plutôt que des consultants : nous sommes, par nature, plus libres dans notre jugement », explique Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS en science politique et directeur du CEPEL. Et que dit cette étude, mixant méthodologie quantitative et qualitative, qui s’appuie sur 2 525 réponses issues de questionnaires in situ (1 829 réponses et enquête en ligne auprès des contacts de La Filature) – et du théâtre de la Sinne (696 réponses), à l’occasion de 15 spectacles variés, représentatifs de la diversité de la programmation (12 à la Filature et 3 au théâtre de la Sinne) ?

La Filature est fréquentée par un public :

• majoritairement féminin (67 %),

• diplômé (83 % de diplômés du supérieur),

• de classes sociales supérieures (55 % de cadres et professions intellectuelles supérieures, contre 33 % de classes moyennes et seulement 12 % de classes populaires, dont principalement des employés),

• relativement âgé (58 ans de moyenne d’âge, avec une forte représentation de la génération des baby-boomers de plus de 61 ans, 48% de retraités et 61% pour l’Orchestre national de Mulhouse et, a contrario, seulement 12% de moins de 29 ans),

• à dominante locale, mais seulement à un tiers mulhousien (33 % des spectateurs habitent Mulhouse, 27 % l'agglomération m2A, seuls 9 % résident au-delà de 90 km),

• utilisant à 60% la voiture comme moyen de locomotion (80 % en incluant le covoiturage), 13% venant à pied ou à vélo et 9% empruntant les transports en commun.

L’étude met aussi en exergue la pleine satisfaction des spectateurs, avec une note moyenne de 16/20 attribuée à leurs expériences à La Filature. Au chapitre des points positifs : la diversité et l’éclectisme de la programmation (30%), le confort et la qualité architecturale de la salle (17%) et la qualité artistique des spectacles (15%). Parmi les points négatifs pointés : le stationnement et les accès difficiles (18%), ainsi que le confort des sièges et la visibilité (17%).

Autant de riches enseignements qui demandent aujourd’hui à être digérés par La Filature, confrontée à un paradoxe majeur mis en exergue en conclusion de l’étude : « Bien que La Filature offre une programmation exceptionnellement diverse et jouit d'une très grande satisfaction des publics actuels, elle a plus de difficulté à renouveler son audience et attire un public structurellement homogène et vieillissant ». Et les chercheurs de mettre en lumière trois défis majeurs à relever : « Le renouvellement générationnel, l’accentuation de la démocratisation culturelle et la diversification sociologique des publics ». « On sait que cette étude sera scrutée par d’autres Scènes nationales en France », commente le directeur de La Filature, Benoît André.

Un public moins féminin, plus jeune et plus populaire à la Sinne

Partie intégrante de l’étude, celle menée au théâtre de la Sinne sur trois spectacles révèle des singularités, avec un public un peu moins féminin (62% à la Sinne, contre 67% à La Filature), plus jeune (âge moyen de 51 ans, contre 58 ans), moins diplômé (à 75% de l’enseignement supérieur, contre 83%) et composé davantage de CSP moyennes et populaires (42% de cadres et de professions intellectuelles, contre 55% à La Filature). Les préférences en matière de goûts divergent nettement entre les deux lieux : musique classique, théâtre contemporain et danse à La Filature ; chanson, rock, one-man-show et théâtre de boulevard à la Sinne.